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Mener des projets au sein du gouvernement du Canada, épisode 2 : Apprendre la gestion de projet efficace, avec Taki Sarantakis (TRN3-P02)

Description

Dans cet épisode du balado intitulé Mener des projets au sein du gouvernement du Canada, Taki Sarantakis, président de l'École de la fonction publique du Canada, définit les compétences et les connaissances permettant de gérer efficacement les projets au gouvernement du Canada.

Durée : 00:51:04
Publié : 16 décembre 2019
Type : Balado


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Mener des projets au sein du gouvernement du Canada, épisode 2 : Apprendre la gestion de projet efficace, avec Taki Sarantakis

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Transcription : Mener des projets au sein du gouvernement du Canada, épisode 2 : Apprendre la gestion de projet efficace, avec Taki Sarantakis

Pablo Sobrino : Alors, on va se présenter. Je suis Pablo Sobrino, membre émérite de l'École de la fonction publique du Canada.

Taki Sarantakis : Et je suis Taki Sarantakis, président de l'École.

Pablo Sobrino : Nous sommes ici pour connaître votre point de vue sur la gestion de projet au sein du gouvernement du Canada (GC) et sur la façon dont nous inculquons une culture de gestion de projet dans la fonction publique.

Taki Sarantakis : C'est une excellente question, Pablo, à laquelle j'ai été confrontée tout au long de ma carrière, et ce, bien avant d'arriver à l'École.

Selon moi, la gestion de projet est une compétence absolument essentielle, non pas des gestionnaires de projet en soi, mais de presque tous ceux qui travaillent au gouvernement du Canada.

Lorsqu'on pense à ce qu'est la gestion de projet... La gestion de projet se définit essentiellement par  « Voici mon problème d'un côté, et de l'autre, voici mes ressources. » Mes ressources peuvent être du temps, de l'argent, des gens, mais en fin de compte, notre travail en tant que fonctionnaires consiste à faire correspondre nos ressources à nos problèmes et à trouver des solutions.

Je pense que la gestion de projet, ou l'éthique de la gestion de projet, est l'un des meilleurs moyens d'y parvenir.

Je ne vois pas la gestion de projet comme quelque chose de défini; par exemple 5 pourcent de la fonction publique fait de la gestion de projet, ou 7 pourcent, ou ce sont les gestionnaires de projet. Je vois la gestion de projet, et en particulier la mentalité de gestion de projet, comme un outil essentiel pour tout fonctionnaire.

De toute évidence, il y a des gens qui sont des spécialistes de la gestion de projet, qui achètent les systèmes informatiques et construisent les ponts, qui s'occupent des systèmes de paie et tout ça. Ils doivent avoir un sens beaucoup plus sophistiqué de la gestion de projet. Mais je crois que chaque fonctionnaire doit détenir les bases de la gestion de projet.

En ce qui concerne la deuxième partie de votre question culture.

C'est le plus difficile pour moi. Comment inculquer cette notion que nous avons tous des ressources, que nous avons tous des problèmes, et que c'est notre travail quotidien? Que vous soyez AS, PM, EC EX ou un sous-ministre, la gestion de projet est l'affaire de tous.

Pablo Sobrino : Selon vous, quel est le rôle de l'École dans la réalisation de ce genre de changement culturel, parce qu'un état d'esprit, c'est la culture, ce n'est pas un manuel d'instruction, ce n'est pas un manuel pratique.

Il y a des spécialistes, comme vous l'avez mentionné, qui étudient et se préparent à la gestion de projet. Mais si vous demandez à tout le monde d'avoir ces connaissances, quel rôle joue l'École pour inculquer cette culture et va-t-elle s'y prendre pour y parvenir?

Taki Sarantakis : Je pense que nous devons d'abord commencer à fournir les outils de base. Nous pouvons le faire de plusieurs façons.

D'abord par les cours en personne. Il est très important d'avoir une disponibilité de cours afin de promouvoir les intérêts des fonctionnaires.

Deuxièmement, nous n'avons pas accompli un aussi bon travail selon nos capacités ou nos résultats passés en mettant en ligne du matériel de qualité auxquels les gens peuvent avoir accès.

Et nous sommes occupés à nettoyer ces zones.

Troisièmement, je pense que l'École peut jouer un rôle absolument vital dans le courtage des connaissances qui existent déjà. À l'École, nous n'avons pas à réinventer la roue. Nous ne serons pas en mesure de produire du matériel de gestion de projet supérieur à celui des cabinets d'experts-comptables, des universités, du Project Management Institute ou d'autres organismes très perfectionnés de ce genre.

Quatrièmement, il y a les liens. C'est très important pour nous, et c'est probablement lié au troisième point. Il est primordial pour nous permettre d'établir un lien entre les problèmes gouvernementaux et les solutions potentielles.

Et puis, plus précisément, à votre dernier point sur la culture. Il faut simplement en parler encore et encore. Si vous pensez à plusieurs de nos « échecs » au GC — au cours de votre carrière et de la mienne —, d'une façon ou d'une autre, la plupart sont liés à la gestion de projets. Certains sont des manquements à l'éthique. D'autres sont des échecs de valeurs. Certains sont d'autres types d'échecs. Mais, il s'agit surtout de gestion de projet.

Quand on dit qu'au GC nous ne sommes pas bons pour « exécuter ». Nous sommes très doués pour mettre en commun ces idées, telles que  « Vous savez, c'est vraiment une bonne idée de prendre tous les systèmes de paie de 45 ministères et de les regrouper, de les rendre plus efficaces, d'apporter des changements et d'avoir des données communes et tout cela. » Mais ça ne veut rien dire si vous ne l'exécutez pas correctement.

Je pense donc que si vous demandiez à la plupart des gens ce que le gouvernement sait faire, qu'est-ce qu'il sait faire? Je pense qu'ils diraient que le gouvernement est vraiment bon pour poser des diagnostics, qu'il est vraiment bon pour proposer des options, qu'il est vraiment bon pour élaborer des politiques.

Et inversement, si vous demandiez aux gens ce que le gouvernement réussit moins bien — et non pas le gouvernement du Canada, mais le gouvernement en soi —, je pense qu'ils diraient que c'est l'exécution. Je pense que c'est une question de prestation. Il s'agit de prendre cette bonne idée et de la concrétiser. Vous ne pouvez pas faire cela si vous ne savez pas ce qu'est la gestion de projet.

Pablo Sobrino : Très bien.

Avez-vous reçu des conseils à ce sujet de la part de vos collègues sous-ministres?

Taki Sarantakis : Oui. Il y a beaucoup de sous-ministres qui sont très intéressés par ce sujet.

L'un des objectifs que nous tentons d'atteindre, c'est de faire en sorte que la gestion de projet ne soit pas en quelque sorte laissée à Services publics et Approvisionnement Canada Services publics et Approvisionnement Canada, ou à Services partagés Canada (SPC). Nous devons vraiment faire comprendre que la gestion de projet et son éthique visent à complémenter le travail de tous en tout temps.

Les sous-ministres comprennent cela. Les sous-ministres comprennent que les compétences en gestion de projet de leur organisation ne sont probablement pas aussi bonnes et fiables qu'ils le voudraient. Dernièrement, nous avons pris des mesures en tant que communauté pour commencer à aborder ce sujet et avoir l'occasion d'en parler. J'aimerais vraiment féliciter Roch Huppé, qui joue un très grand rôle dans ce domaine.

Comme nous avons beaucoup de leviers, qu'ils soient politiques, de formation ou de dépenses. Je pense que pour la première fois de mon vivant — du moins, depuis que je suis au GC —, nous commençons à prendre cette question très au sérieux. Que ce soit de la part du dirigeant principal de l'information (DPI), du Bureau du contrôleur général (BCG), du greffier [du Conseil privé] ou de l'École, les choses s'harmonisent d'une façon que je n'ai jamais vue auparavant dans ce domaine.

Pablo Sobrino : C'est intéressant. Je pense que vous avez parlé de Phénix, qui est l'exemple parfait d'un projet dont la gestion et la supervision ont échoué. Mais renforcer cette capacité et nous appuyer sur ce que nous réussissons — parce qu'il y a ces réussites —, mais elles ne sont pas reconnues...

Il y a néanmoins ces échecs de projets. Alors, pourquoi pensez-vous qu'il est important d'apprendre des échecs? Pourquoi soulignons-nous toujours les échecs plutôt que certains de nos succès?

Taki Sarantakis : Eh bien, je n'ai pas dit ça. J'aime apprendre de tout, qu'il s'agisse d'échec ou de succès. J'aime particulièrement apprendre des autres. Je ne ressens pas particulièrement le besoin de mettre mon doigt dans une prise électrique et d'apprendre des conséquences malencontreuses. J'aime l'apprendre en observant les autres. Selon moi, tu apprends tout le temps. On apprend des bonnes et des mauvaises choses.

Au gouvernement, nous ne sommes pas particulièrement doués pour revenir en arrière et dire  « D'accord, pourquoi avons-nous échoué? Pourquoi avons-nous réussi? » On passe toujours très rapidement à la nouveauté.

Comme tu l'as mentionné, nous avons beaucoup de réussites au gouvernement du Canada. Et heureusement, sans quoi la société serait dans un état lamentable. Mais on ne fait pas de bilan.

Cela est plutôt surprenant, parce que si vous prenez plusieurs professions, elles passent autant de temps à disséquer leurs actions qu'à planifier les prochaines étapes. Dans les hôpitaux et les universités, dans les procédures judiciaires, etc., les gens regardent en arrière et se demandent pourquoi cette opération si simple s'est si mal déroulée. Ou pourquoi les taux d'infection dans cet hôpital sont-ils plus élevés que la moyenne provinciale? Que se passe-t-il? Parlons-en maintenant.

Nous n'en parlons pas suffisamment au gouvernement du Canada. L'un des problèmes, c'est peut-être le taux de roulement.

Mais nous avons tendance à assigner des personnes à des postes, en pensant que quiconque occupe ce poste à l'heure actuelle peut accomplir les tâches afférentes. Et ce n'est tout simplement pas le cas.

Si vous occupez un 5 ou 6 postes liés à la paie à SPAC, vous êtes là parce que vous gérez des systèmes de paie. Mais une ou deux fois par génération, ou toutes les 2 générations, vous devez bâtir un système de paie. C'est une compétence très différente de la gestion d'un système de paie.

Il en va de même si vous construisez un pont, si vous travaillez pour une société d'État et que vous dirigez des ponts, et que tout à coup, on vous tape sur l'épaule et on vous dit qu'il est temps de construire un autre pont. Vous n'avez pas nécessairement ces compétences, même si vous êtes dans le domaine des grands ponts, vous ne travaillez pas dans le domaine de la construction de ponts. C'est complètement différent.

Je pense que l'une de nos lacunes au gouvernement est que si vous êtes un directeur général (DG) de X ou un sous-ministre adjoint (SMA) de Y, et que vous héritez d'un projet qui ne s'inscrit pas dans le champ d'expertise pour lequel vous avez obtenu le poste, on s'attend tout de même à ce que vous ayez ces connaissances.

Je vais vous donner un exemple tiré de mon organisation. Au cours de la dernière année, nous avons eu beaucoup d'enjeux liés à la gestion des locaux en raison de problèmes d'immeuble. Nous avons quitté nos locaux principaux d'enseignement au Centre Asticou pour faire place à une école secondaire à la suite d'une tornade qui s'est produite il y a un an.

Tous les membres de l'Équipe de la gestion des locaux sont ici parce qu'elles sont douées pour gérer des installations physiques. Toutefois, elles n'ont pas beaucoup d'expertise, et ne devraient pas en avoir sur l'acquisition d'un nouvel immeuble? Comment allons-nous aménager un autre immeuble? Comment allons-nous retirer l'amiante d'un immeuble de l'autre côté de la rue pour pouvoir l'occuper?

Je ne m'attends donc pas à ce qu'ils aient ces connaissances parce que ce n'est pas leur travail. Il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce qu'une personne qui effectue une tâche qui survient tous les 10 ans ait cette capacité interne. Ce n'est pas la chose à faire.

Et si on y réfléchit, Pablo, vous avez passé beaucoup de temps au gouvernement du Canada. Tout à coup, des unités du GC qui étaient habituellement stables, que ce soit en matière de politique économique ou sociale. Et tout à coup, quelque chose se produit, un gouvernement change, quelque chose qui n'a jamais été une priorité le devient. Soudainement, cette unité doit rédiger des mémoires au Cabinet (MC), des présentations au Conseil du Trésor, comparaître devant des comités parlementaires, et puis  « whoa »! Aucun de ces employés ne s'y attendait. Oui, il se trouve qu'ils sont là. Mais ils n'étaient pas là pour écrire des MC ou faire des soumissions au Conseil du Trésor. Ils étaient là pour gérer les programmes existants.

Pablo Sobrino : Alors, ces changements dont vous parlez, c'est l'évolution rapide et continue dans l'environnement de travail. C'est évident qu'il y a beaucoup de changement. Comment est-ce que l'École va jouer un rôle pour appuyer ce changement — ce virage qu'on voit partout — que demande la culture de gestion de projet? Mais c'est plus large que ça. [Quel rôle va jouer] l'École? Parce que l'École n'est pas une grande [organisation], mais elle y a la possibilité d'avoir beaucoup d'effet sur la fonction publique.

Taki Sarantakis : Pour moi, l'École a beaucoup de potentiel pour aider les fonctionnaires, le gouvernement et l'administration publique afin de faire face aux défis de l'avenir.

Le gouvernement est le plus important employeur au Canada. Le gouvernement est probablement l'institution la plus importante d'une société. Il ne peut pas faire son travail correctement sans une main-d'œuvre hautement fonctionnelle. Et comment obtenir une main-d'œuvre hautement performante? Vous embauchez des gens très compétents, vous formez des gens très compétents, et vous gardez les compétences de ces gens très compétents en constante évolution.

Nous ne faisons pas un aussi bon travail que nous le devrions en matière de formation et d'apprentissage. Je vais vous dire franchement quelque chose qui me causera peut-être des ennuis. Il y a beaucoup d'emplois au GC pour lesquels les gens reçoivent une formation minimale ou nulle. Certains employeurs forment leurs employés plus que nous, comme McDonald's et Walmart. Certains de leurs employés de première ligne reçoivent peut-être plus de soutien de leur organisation en matière de formation et d'apprentissage que certains de nos employés au gouvernement du Canada.

Nous fonctionnons donc en quelque sorte selon le cadre selon lequel quand vous êtes embauché, vous savez ce que vous faites et nous vous verrons 35 ans plus tard pour votre quart de retraite.

C'est peut-être ainsi que le monde fonctionnait dans le passé, mais ce n'est pas ainsi que le monde fonctionne de nos jours. Les compétences que j'ai acquises à mon arrivée au GC en 1997 sont très différentes de celles requises pour les nouveaux fonctionnaires aujourd'hui, afin d'être un bon employé du GC au service des Canadiens.

Quand je me suis joint à l'équipe, personne ne parlait de la maîtrise des données. Personne ne parlait de l'apprentissage automatique. Personne ne parlait de perturbation. Personne ne parlait du rythme de changement, le plus rapide de l'histoire de l'humanité. Et, 22 ans plus tard, c'est encore plus rapide.

Nous commencions tout juste à parler de l'Internet commercial, et potentiellement, de gouvernement électronique ou des services en ligne. Si je parle couramment ces choses, c'est parce j'ai lu sur le sujet, que je m'y suis intéressé.

Mais le GC ne s'attaque pas systématiquement à cela. Le monde évolue. Je n'ai pas besoin de te le dire, Pablo, parce que tu le sais mieux que moi, mais je vais peut-être le répéter pour les besoins de ce balado. Le monde change à rythme effarant.

Par exemple  à mes débuts au GC, Sears était le premier détaillant; Sears n'existe plus au Canada. Si quelqu'un vous avait dit au début de votre carrière que Sears n'existerait plus à votre retraite, vous vous seriez probablement moqué d'eux. À mes débuts, les gens achetaient des véhicules Chrysler, Ford et GM, et maintenant, ils achètent des Tesla. Si quelqu'un vous avait dit qu'à votre retraite, nous serions tout près de posséder des véhicules qui se conduisent seuls, nous aurions ri d'eux?

Si les gens t'avaient dit, Pablo, que tu n'achèterais plus de VHS, de Blu-ray ou de DVD, vous n'auriez qu'à cliquer sur un bouton et que les ondes voyageraient dans les airs. Tout à coup, apparaîtrait le 4K, la résolution ultra-haute définition, et que vous l'auriez instantanément, car les ondes voyageraient dans les airs. Ou que vous jetteriez tous vos disques et vos CD, et que pour 9 $ par mois, vous aurez un accès illimité à toute la musique du monde. Vous auriez enfermé cette personne.

Le changement se produit donc très, très rapidement. Je pense qu'un des mandats de l'École est d'aider à préparer la fonction publique au changement. Mais vous ne pouvez pas faire cela par le biais de l'École, tout le monde doit se préparer au changement.

Selon moi, l'apprentissage et la formation ne se font pas une semaine par année à l'École de la fonction publique du Canada, ou à l'Université Carleton, à l'Institut des administrateurs de sociétés ou ailleurs. Il faut apprendre et se former en continu.

En tant qu'employé du GC, vous devez en faire l'une de vos priorités principales. Il faut apprendre de tout, et pas seulement de la formation formelle. Vous devez apprendre de votre patron, vous devez apprendre de vos pairs, vous devez apprendre de votre conjoint, vous devez apprendre de vos enfants. Vous devez apprendre en lisant. Vous devez apprendre tout le temps.

Puis-je faire une peu de promotion pour la lecture?

Pablo Sobrino : Oui, je vous en prie.

Taki Sarantakis : Je ne peux pas vous dire combien de fois j'entends les gens dire  « J'aimerais avoir le temps de lire. Oh, je suis trop occupé pour lire. Je ne me souviens pas de la dernière fois que j'ai lu un livre. » Quand j'entends ça, ça me rend dingue.

Savez-vous combien de livres Bill Clinton lisait quand il était président des États-Unis? Quand il était président des États-Unis, il lisait au moins 40 livres par année. Savez-vous combien de livres Barack Obama lisait quand il était président des États-Unis? Il lisait au moins 40 livres par année. Savez-vous combien de livres Bill Gates lisait quand il dirigeait Microsoft? Un minimum de 50 livres par an. Tu sais combien de livres lit Warren Buffett? Il lit au moins 30 livres par an.

Si votre travail est plus important que celui du président des États-Unis ou du dirigeant de Microsoft, l'un des hommes les plus riches du monde. Si vous êtes si occupé, [vous méritez] plus de pouvoir pour vous. Même les gens qui dirigent l'un des plus puissants gouvernements du monde, ou l'une des plus grandes entreprises du monde, prennent le temps de lire.

Et ils ne se forcent pas pour prendre le temps de lire. En fait, ce qu'ils font, c'est prendre le temps d'apprendre. Ils prennent le temps de regarder vers l'avenir et de s'y préparer. Si vous ne pouvez pas le faire, je pense que vous devriez peut-être regarder quelles sont vos priorités.

Pablo Sobrino : C'est intéressant. Puis-je vous demander, quel livre lisez-vous en ce moment?

Taki Sarantakis : En ce moment, je lis Nervous States, qui aborde différemment tous les grands enjeux. Qu'est-ce que la vérité? Quel est le rôle du gouvernement? Que signifie la montée du numérique pour le gouvernement? Je ne suis pas sûr que le gouvernement ait vraiment débattu de ce qui adviendra du numérique.

Plusieurs de nos institutions étaient fondées sur l'idée qu'il fallait beaucoup de temps pour consulter les citoyens ou pour interagir avec eux. L'une des raisons pour lesquelles nous avons des parlements, des assemblées législatives et des Chambres, c'est que vous ne pouviez pas vraiment demander aux gens ce qu'ils voulaient. Vous pourriez donc réunir les gens une fois tous les 4 ou 5 ans et leur demander de voter pour quelqu'un qui les représenterait quelque part.

Si vous y réfléchissez bien, c'est en partie parce qu'il était très coûteux de demander aux gens ce qu'ils voulaient, c'était très difficile. Il y a quelques centaines d'années, quelqu'un prenait son cheval en direction d'Ottawa pour 4 ans ou, encore une fois, chevauchait vers Washington ou à Westminster, à Londres, et représentait des gens pendant 3, 4 ou 5 ans.

Maintenant, n'importe quel enfant peut consulter n'importe qui dans le monde, presque instantanément et presque gratuitement. Alors, comment cela change-t-il de gouvernement? Si vous pensez que cela n'aura aucun impact sur le gouvernement, je pense que vous vous faites des illusions.

Le gouvernement en tant qu'institution doit donc vraiment commencer à s'intéresser à la communication instantanée. En cette ère où quiconque peut toucher des centaines de milliers, voire des millions, de personnes instantanément, ceci a des conséquences profondes sur la gouvernance et notre façon de nous organiser. Et je ne suis pas convaincu que les gouvernements occidentaux agissent aussi rapidement qu'ils le devraient.

Pablo Sobrino : Très intéressant. J'apprécie votre plaidoyer pour la lecture et à la réflexion critique. C'est la lecture qui vous donne cette perspective éclairée, lorsque vous avez ces conversations qui se produisent instantanément.

Taki Sarantakis : D'un autre côté, l'un des dangers que nous courons, c'est que les gens ne font que lire ce qu'ils veulent lire. Vous entendez donc parler d'une sorte de chambre d'écho, et de choses qui renforcent ce que vous voulez lire.

J'ai oublié qui c'était, mais quelqu'un m'a dit  « Te souviens-tu de la dernière fois que tu as lu quelque chose avec lequel tu n'étais pas d'accord? Te souviens-tu de la dernière fois que quelque chose t'a mis en colère? » C'est comme si cela se produisait de moins en moins, parce que la plupart d'entre nous lisent maintenant à travers des agrégateurs. Ils savent ce que vous aimez et vous montrent davantage ce que vous voulez lire.

Mais c'est presque la différence entre le genre de lecture à travers des agrégateurs électroniques, le web ou les navigateurs et les journaux.

Si vous pensez aux journaux... encore une fois, quand vous et moi — je ne veux pas donner l'impression que nous avons 100 ans —, mais nous sommes vieux. Plus jeune, quand on lisait un journal, il y avait une section Affaires, une section Sports, une section Politique et une section Opinion. Il y avait des petites annonces. Donc, il y avait un peu de tout.

Pour le meilleur ou pour le pire, tout était organisé. Il y avait un rédacteur en chef de la section des affaires et un rédacteur en chef de ceci. Quelqu'un s'était en quelque sorte porté garant de la qualité, pour ainsi dire, et nous avons tous en quelque sorte lu la même chose.

Il y a donc de bonnes choses et de mauvaises choses à ce sujet. Mais nous devons commencer à nous demander ce que signifie le fait que  % de la population croit passionnément en X, et puis  % de la population croit passionnément à Y, et ces deux groupes ne s'uniront jamais?

On devrait peut-être parler un peu de gestion de projet.

Pablo Sobrino : Eh bien, non, je pense qu'en fait, c'est utile, parce que c'est vraiment le rôle de l'École, ce dont nous parlons, et la gestion est un élément important de la discussion.

Je voulais aller à l'Académie du numérique, peut-être pour parler un peu de votre vision, de la façon dont elle pourrait s'inscrire dans le cadre de la gestion de projet, mais aussi dans le cadre plus large.

Taki Sarantakis : L'Académie du numérique est l'une des plus importantes nouveautés que nous avons faites à l'École. Nous avons eu la chance en octobre que notre ministre de l'époque ait annoncé la création de l'Académie du numérique et lui ait confié un mandat. Fondamentalement, l'Académie du numérique, je ne la considère pas comme un élément technique. Je considère que c'est enseigner, ou exposer, ou socialiser des parties de la fonction publique aux techniques modernes des affaires. Parce qu'en réalité, quand vous mentionnez le terme « numérique », souvent, ce que vous parlez n'est d'un code pour « faire des affaires de la bonne façon ».

Ainsi, lorsque vous examinez beaucoup des aspects fondamentaux du numérique, vous pensez à l'agilité, à la priorité à l'utilisateur et à l'expérience. Les meilleures entreprises au monde le font depuis très, très longtemps. Par exemple  si vous regardez Four Seasons, Tiffany's ou l'Université Harvard, ils se sont toujours axés sur les utilisateurs, sur l'expérience, ils cherchent toujours à rester pertinents.

Quand on entend parler de numérique, oui, il s'agit de communication instantanée, de données et de tout ça. Mais c'est aussi une question de principes que toute bonne organisation devrait appliquer. Le gouvernement a été chanceux parce qu'il a en quelque sorte pensé à lui-même et qu'il a été pendant longtemps le seul fournisseur d'un grand nombre de services.

Mais le gouvernement doit cesser de penser comme un monopole. Parce que si vous pensez ainsi, vous devenez paresseux. Si vous pensez comme un monopole, vous considérez les gens comme une sorte de désagrément, par opposition aux clients. Si vous pensez comme un monopole, vous êtes toujours en retard.

Et encore une fois, parce que nous sommes des vieux croûtons. Jadis, il fut un temps où votre téléphone était un monopole. Il fut un temps où votre télévision était un monopole. On appelait Bell Canada, ou Rogers, et on disait  « ceci, ceci et cela ne fonctionnent pas », et ils riaient et disaient  « Oui, oui, oui, on vous aidera dès qu'on sera là. Nous serons là dans un mois à partir de mardi, nous ne savons pas s'il sera 9h ou 17h. Alors, réservez un jour de congé parce que nous pourrions ne pas venir, nous pourrions être là à 9h00, nous pourrions être là à 16h30, mais vous n'avez vraiment pas d'autre choix que de traiter avec nous. Donc, on a tout le pouvoir sur vous. » Ce n'est pas ainsi que notre société fonctionne en .

Pablo Sobrino : Alors, vous avez beaucoup d'expérience en matière de gouvernance et de surveillance de projets, des programmes, et d'initiatives de changement vaste et complexe dans votre carrière au sein de plusieurs ministères. Pouvez-vous décrire certaines de ces expériences? Quelles leçons clés en avez-vous apprises de celles-ci?

Taki Sarantakis : Oui. J'ai passé ma carrière essentiellement à 3 ou 4 ministères. Pas beaucoup de mouvement. J'ai commencé comme étudiant, l'été à Transports Canada. À Transports, j'étais beaucoup impliqué avec les dossiers de Toronto :  les Jeux olympiques, le Waterfront, les Air Rail Links.

Pablo Sobrino : Les gros projets.

Taki Sarantakis : Les gros projets.

Après ça, j'ai été muté au Conseil du Trésor afin de travailler dans les dossiers des infrastructures. C'était essentiellement le premier programme pour lequel le gouvernement a commencé à dépenser de l'argent.

C'était juste à la fin de l'examen des programmes, quand tout le monde coupait, coupait, coupait, coupait. Le programme d'infrastructure était l'un des très, très rares programmes où le gouvernement dépensait de l'argent et lançait de nouveaux programmes.

À cette époque-là, c'était, je pense que c'était 2 milliards de dollars.

Ce qui à l'époque représentait tout l'argent du monde.

J'ai eu l'occasion de créer le mémoire au Cabinet afin d'établir les paramètres du programme.

Les catégories d'investissement, la justification, l'admissibilité, tout ça. J'ai donc vraiment eu l'impression que ce n'étaient pas seulement des mots sur un bout de papier, mais qu'ils signifiaient qu'on investissait dans les autoroutes, dans les réseaux à large bande et dans les usines de traitement des eaux.

C'était donc aussi un excellent lien entre les ministres qui avaient des idées et,  ans plus tard, c'était l'infrastructure. Il y aurait en fait un bâtiment, une installation récréative, un pont ou une autoroute.

Quand je vais à des réunions partout au pays maintenant, il n'y a pas l'endroit où je vais, que ce soit à Toronto ou à Vancouver, à Montréal ou dans une petite ville où je me dis  « Vous voyez le Centre des congrès de Vancouver ». Et je me souviens d'avoir écrit la première note d'information à ce sujet. Ou le canal d'évacuation des crues de Winnipeg, je me souviens d'avoir écrit la séance d'information au premier ministre à ce sujet, qui a permis d'obtenir le financement. Ou ici à Ottawa, notre Centre des congrès ou le train léger.

Il s'agissait donc de projets où l'on avait les politiques, l'idée et le genre d'éléments avec lesquels nous avons entamé notre conversation, la mise en œuvre. En fin de compte, il se passe quelque chose.

Après ça, j'ai passé à Infrastructure Canada, [qui a vu le jour] au Conseil du Trésor.

Il a été en quelque sorte séparé du Secrétariat du Conseil du Trésor pour devenir un ministère à part entière en ..., je crois que c'était en 2004.

J'ai passé un autre, je pense 15 ans, à Infrastructure Canada comme un analyste, directeur général, sous-ministre adjoint. J'ai vécu beaucoup d'interactions, parmi des idées, des politiques, l'administration publique.

C'était tout simplement une période merveilleuse. Surtout, même si elle a failli nous tuer, pendant la crise économique. Donc, en 2008, l'économie mondiale a commencé à devenir bancale et le gouvernement a décidé de mettre en place un vaste programme de relance de l'économie canadienne, comme l'ont fait tous les gouvernements du monde.

C'était une période exceptionnellement chargée.

La quantité de travail que nous avons fait. À un moment donné, nous effectuions des évaluations environnementales selon un cycle de  heures. Nous avions divisé notre équipe d'évaluation environnementale en  groupes et ils ont travaillé 8 quarts de travail de 8 heures. Nous faisions donc des évaluations environnementales 24 heures sur 24, afin de pouvoir présenter les projets aux décideurs à temps.

Je crois qu'à un moment donné, j'ai oublié le nombre réel, mais nous avons envoyé environ 100 millions de dollars d'approbations à notre ministre et au Cabinet par semaine, quelque chose dans cet ordre. C'était environ 100 millions de dollars par semaine de projets qui sortaient.

Mais ce que j'ai vraiment appris, c'est l'importance du temps.

Il y avait une caractéristique très intéressante, je ne sais pas si vous vous souvenez bien de l'argent du Programme d'aide aux employés (PAE). Tout devait être dépensé en 2 ans et tout s'est terminé le 31 mars 2011.

C'était la première fois, et peut-être la seule fois où je me souviens que le gouvernement a dit  « Cela doit être fait maintenant, ou les programmes et l'argent sont périmés ». Cela, combiné à une crise financière mondiale, a vraiment attiré l'attention sur la nécessité de faire bouger les choses.

Et parler de gestion de projet, n'est-ce pas? Tu parles d'une exécution. Vous n'êtes pas seulement en train d'exécuter quelque chose, mais vous exécutez contre la montre. À l'époque, nous nous sommes dit  « Oh, mon Dieu, comment allons-nous faire ça? C'est impossible. »

Mais en y repensant, je pense que l'horloge nous a vraiment aidés. Je pense que l'horloge a permis à tout le monde de se concentrer. Je pense que l'horloge a propulsé les gens, nous avons déjà perdu 3 mois dans la conception, nous devons maintenant commencer à mettre en œuvre, nous devons commencer à livrer ou cela n'arrivera jamais. C'était donc un vrai point culminant.

Puis, j'ai passé 5 ans au Secrétariat du Conseil du Trésor, ce qui a vraiment cimenté [ma compréhension] des règles du gouvernement, pour ainsi dire. Certains sont très évidents, d'autres très obscurs. Mais c'est très important de connaître les règles.

Et donc, quand je commence à comprendre ce que je sais, je regarde plus vers la fin de ma carrière que vers le début.

Pablo Sobrino : Le temps passe vite. Oui, je dois dire qu'à l'approche de la retraite, le temps passe très vite.

Taki Sarantakis : Ouais. Si vous êtes à l'écoute, et que vous commencez votre carrière, faites attention, parce que ça passe si rapidement.

Pablo Sobrino : Oui, absolument. Il est intéressant que vous disiez comment, dans votre rôle actuel, vous avez l'occasion d'aller voir toute cette infrastructure qui a été construite. Vous avez un peu parlé de fixer une véritable échéance afin de forcer les résultats.

Y a-t-il d'autres petits enseignements, attitudes ou comportements que vous avez retirés de ce travail à l'Infrastructure au sujet de la gestion de projet?

Taki Sarantakis : C'est une excellente question. Je vais répondre comme ça. Je vais commencer par une petite introduction à quelque chose, puis je reviendrai un peu à l'exemple de l'infrastructure.

L'un des problèmes que nous avons au GC n'est pas tant celui des gestionnaires de projet. C'est avec la supervision des projets. Laissez-moi vous donner un exemple.

Donc, si vous faites ce que vous savez, le plus gros projet d'immobilisations de votre entreprise, vous allez vous présenter devant le conseil d'administration tous les mois, toutes les semaines peut-être, et dire  « Quel est notre emploi du temps? Sommes-nous dans les temps? Sommes-nous en retard? »

Donc, si vous choisissez une industrie, choisissez une compagnie. Que vous introduisiez un nouvel écran de télévision sur le marché, ou que vous construisiez une nouvelle voiture, ou un nouveau modèle de voiture, ou que vous soyez Amazon et que vous construisiez un centre de distribution. Si c'est un gros projet d'immobilisations, vous devrez faire beaucoup de supervision parce que les gens voudront savoir si vous respectez votre budget. Vous êtes à l'heure? Où est-ce que tu glisses? En quoi puis-je vous aider?

L'une des choses que nous avons faites à Infrastructure Canada, c'est d'exercer une véritable surveillance. Tous les projets étaient présentés chaque semaine devant un comité des SMA, où tous les SMA donnaient brassaient la cabane et disaient  « Que voulez-vous dire, cela peut être construit en 2 ans? Absolument pas. Tu es folle. Voilà pourquoi il peut être construit en 2 ans. Tu es toujours fou, ne fais pas ce projet. » Et nous ne ferions pas le projet beaucoup de fois. Mais nous avions une bonne surveillance et une surveillance sérieuse.

D'après mon expérience, le GC ne fait pas ce genre de surveillance aussi bien qu'il le devrait.

Si vous construisez un système de paie de 300 millions de dollars, ou si vous introduisez un nouveau système de facturation, et que vous êtes une compagnie d'électricité, ou Rogers ou quelqu'un d'autre où vous êtes en concurrence. Vous n'allez pas introduire ce système sans supervision de votre conseil d'administration. Vous n'allez jamais mettre ce système en service, à moins de l'avoir testé 8 000 fois sur tous les scénarios. Vous n'allez jamais diffuser ce système tant que le taux d'erreur n'est pas inférieur à 1% ou près de la perfection, quel que soit le type de mesure de votre succès.

Je n'ai pas l'impression que c'est la façon de faire au gouvernement. Je ne sens pas ça. Et ce n'est rien contre Phénix, parce qu'on parle tous de Phénix. Je ne sais pas combien d'essais on a faits sur Phénix. Avons-nous généré 6 000 paies de test? Avons-nous déjà dit qu'il serait lancé uniquement si le taux d'erreur est inférieur à 2%? Que se passera-t-il si cette partie du système tombe en panne? Avons-nous vérifié si cette partie du système tombe en panne?

Je ne dis pas qu'on l'a fait ou non, parce que je ne sais vraiment pas. Mais, je serais surpris si nous le menions avec la même rigueur qu'une entreprise privée typique le ferait pour son système de paie.

La supervision de la gestion de projet est tout aussi importante que la gestion de projet.

L'une des choses que nous voyons au gouvernement du Canada, ce sont les tableaux de bord, comme tous les bons gestionnaires de projets, vous avez des tableaux de bord. On ne voit pas beaucoup de rouge dans les tableaux de bord du gouvernement du Canada, on voit plutôt du vert, vert, vert, vert, vert. Et puis, après le lancement, alors que quelque chose tourne mal et il clignote en rouge, et que tu te sois dit  « Attends une seconde, qu'est-il arrivé au jaune? » Il est donc très important que nous prenions au sérieux la surveillance des projets, que ce soit au niveau des SMA, des DG, des ministres, du Cabinet ou du Parlement, nous avons tous un rôle à jouer dans la surveillance. Parfois, nous ne faisons pas autant de surveillance que nous le pourrions.

Ce qui arrive parfois, c'est qu'on pose une question et que les gens disent  « Oui, on s'en occupe, on a un plan d'urgence. » Instinctivement, tu te dis  « Oh, génial. Question suivante. » Mais quelqu'un qui dit que j'ai un plan d'urgence, ça peut paraître sans importance. Quel est votre plan d'urgence? Avez-vous testé votre plan d'urgence en cas de stress? L'avez-vous déjà fait? Que se passera-t-il?

Souvent, si vous posez seulement ces 3 ou 4 questions de suivi, vous avez l'impression qu'il n'y a pas vraiment de plan d'urgence.

Pablo Sobrino : Peut-être que c'est le jaune.

Taki Sarantakis : Ou en fait, notre plan d'urgence est quelque chose de futile. Donc encore une fois, dans un scénario de système de facturation, si votre gestionnaire de projet dit  « Nous avons un imprévu, vous direz, quel est l'imprévu? » Et il a ajoute  « Nous allons écrire manuellement les factures à nos 17 000 clients. » Vous vous direz  « Eh bien, ce n'est pas vraiment un plan d'urgence? » Combien de temps nous faudrait-il pour rédiger manuellement 17 000 factures? Cela nous prendrait environ  an et demi par cycle de facturation. Et tu te dis  « Mais nous avons des cycles de facturation tous les mois, ou toutes les semaines, nous n'y avions pas pensé. »

C'est la même chose avec d'autres projets du gouvernement du Canada. Ce n'est pas juste assez. J'imagine qu'une autre façon de dire ce que je veux dire, c'est que nous abordons beaucoup de ces projets comme des exercices de cases à cocher. Et s'il s'agit vraiment d'exercices de cases à cocher, par opposition à une véritable surveillance, alors nous faisons plus de mal que de bien, parce que nous nous donnons un faux sentiment de sécurité. Le sous-ministre examine les tableaux de bord des projets. Si je suis sous-ministre et que je ne vois rien d'autre que du vert, je me dis  « Super, rien à voir ici. Laissez-moi passer à mon prochain feu. »

Les gens doivent donc commencer à dire la vérité et à mettre du jaune, ou du rouge dans le tableau de bord. Parce que si c'est jaune et rouge, moi en tant que sous-ministre, ou Mary, en tant que sous-ministre, ou Jane, en tant que sous-ministre adjointe, nous surveillerons les codes jaunes ou rouges. Mais si tout est vert, Mary, Jane, Bill et moi n'allons pas les regarder. Nous allons passer au problème suivant. La surveillance des projets est donc très importante.

Pablo Sobrino : C'est très intéressant. Il s'agit de la politique et du cadre de gestion de projet qui ont été mis en place, et dont une grande partie porte sur la gouvernance et la surveillance, et sur la façon de les contester. Comment passez-vous les étapes afin de prendre des décisions?

Taki Sarantakis : Il y a une tendance, si je peux me permettre d'intervenir; il y a une tendance, parfois où les gens lèvent les épaules ou les coudes pour relever des défis. Si quelqu'un s'énerve, danse ou patine lorsqu'il est mis au défi, vous devriez creuser plus fort. Ça veut dire qu'il y a quelque chose qui n'est pas bon.

Si vous savez ce que vous faites, si votre projet est sur la bonne voie et si vous réussissez bien, vous vous réjouissez d'une supervision, d'un défi, parce que c'est l'occasion de montrer l'excellent travail que vous faites et de montrer votre réflexion et votre planification.

Mais si quelqu'un dit  « Quoi, tu ne me fais pas confiance? Je réponds  « Nous avons un plan d'urgence. Tu ne me fais pas confiance? » C'est un énorme drapeau rouge. Parce que ça devrait vraiment l'être. Si vous avez un plan d'urgence, montrez-le-moi. Et si c'est le cas, c'est merveilleux. Mais sinon, ne me dis pas que tu en as un et demande-moi de te faire confiance. Et je ne dis pas qu'on a trop fait confiance. Mais si quelqu'un prend la contestation comme un affront, c'est un gros drapeau rouge.

Pablo Sobrino : C'est tout à fait dans la lignée de ce que j'ai entendu aussi. J'ai juste 2 petites questions.

Tout d'abord, sur le plan international, je sais que vous avez essayé de savoir ce qui se passe dans le domaine de la gestion de projet à l'échelle internationale et ce que disent les leaders dans le contexte mondial. Quelles sont les choses principales qu'ils pourraient nous dire? Je suppose que la supervision de projet en fait partie, mais y'a-t-il d'autres éléments qui font partie de la grande philosophie de la gestion de projet à l'échelle mondiale?

Taki Sarantakis : Je pense que les messages sont tous les mêmes, que vous travailliez dans la fonction publique du Royaume-Uni, ou dans la fonction publique américaine, ou dans la fonction publique canadienne, ou dans le secteur privé, ou dans une ONG, ou dans un grand organisme à but lucratif ou à but non lucratif, la gestion de projet est une gestion de projet. Nous avons tous beaucoup à apprendre les uns des autres. Et l'une des tragédies, c'est que nous n'apprenons pas les uns des autres.

Par exemple  si j'étais responsable de la construction d'un nouveau pont, l'une des toutes premières choses que je ferais serait d'aller parler à des gens qui ont construit des ponts. Si j'étais responsable de l'introduction d'un nouveau système de paie, j'irais parler aux gens qui ont introduit de nouveaux systèmes de paie.

Et si je n'arrivais pas à trouver quelqu'un qui a introduit de nouveaux systèmes de paie, je parlais à des gens qui avaient lancé des projets connexes comme des systèmes de facturation ou de suivi.

On en revient donc un peu à la question de ne pas coller son doigt dans la prise électrique. Sortez et demandez aux gens ce qui s'est passé quand vous avez mis votre doigt dans la prise électrique. Oh, ce n'était pas une bonne chose. Je vais essayer de ne pas mettre mon doigt dans la prise électrique lorsque je construis un nouveau système de facturation ou un nouveau pont. Donc, pour moi, l'international, c'est vraiment une question de partage de leçons. Et tout est soit ancien, soit nouveau, soit nouveau, soit nouveau pour vous. Nous ne faisons pas bien ce qui est nouveau pour vous, parce que tout ce qui est nouveau pour vous n'est pas nécessairement nouveau pour les autres. Alors, allez parler à d'autres personnes qui ont déjà fait cela auparavant.

Pablo Sobrino : Donc, en terminant, y a-t-il d'autres idées sur ce que la fonction publique devrait faire en matière de gestion de projet dans 5 ans? Nous avons parlé de culture et de mentalité. Quand allez-vous dire qu'ils font ce qu'il faut. Qu'ils font bien les choses.

Taki Sarantakis : Ouais, je ne sais pas si c'est 5 ans.

Je pense qu'il y a quelques facteurs. Premièrement, nous devons nous professionnaliser rapidement. Cela ne signifie pas seulement la certification, l'apprentissage ou la formation. Nous devons professionnaliser les processus. Nous devons commencer à faire l'inventaire de nos ressources. Nous devons commencer à répartir nos ressources de façon rationnelle, qu'il s'agisse de temps, d'énergie ou d'argent. Nous devons mieux définir le problème, l'objectif, pour être beaucoup plus précis quant à ce que nous construisons réellement. Nous devons commencer à prendre la surveillance au sérieux. Nous devons commencer à prendre les échéanciers au sérieux.

Il faut cesser de craindre de dire la vérité aux personnes en position de pouvoir, qu'il s'agisse de votre directeur, de votre DG ou de votre ministre, pour dire  « Oui, je sais que vous voulez ce pont dans 10 minutes. Je vous le dis, un pont ne peut pas être construit en 10 minutes. Et si vous voulez prétendre que nous pouvons construire un pont en 10 minutes, ça ne marchera pas. Donc je ne vais pas te rendre un mauvais service en te mentant. »

C'est la même chose avec votre DG. C'est la même chose avec votre ADM. Et c'est la même chose avec votre adjoint. Si nous en arrivons au point où les gens disent la vérité au sujet des ressources, des échéanciers, de l'énergie, des inconvénients et des risques, je pense que c'est un grand, grand pas.

Je ne pense pas qu'il faille attendre 5 ans pour cela. Je pense qu'on peut le faire demain. Mais nous devons récompenser notre peuple pour avoir dit la vérité, et ne pas dire « Ne comprenez-vous pas? Le pont doit être construit en 10 minutes. »

Donc, l'une des choses que nous devons vraiment commencer à examiner, c'est comment pouvons-nous mettre en place les bons systèmes d'incitatifs pour que lorsque vous voyez du rouge sur votre tableau de bord, vous ne soyez pas un sous-ministre ou un SMA qui se fâche vraiment, vous soyez en fait très heureux que quelqu'un attire votre attention là-dessus.

Mais là où vous devriez quand même vous fâcher quand vous voyez du rouge, si c'était vert, vert, vert, vert, vert, vert, vert, vert, vert, et puis, après le lancement, il devient rouge parce que cela signifie que les gens n'étaient pas honnêtes avec vous auparavant.

Pablo Sobrino : Super. Eh bien, merci Taki. C'était une excellente entrevue.

J'ai aimé la façon dont nous avons géré le projet ainsi que les éléments de l'École, les éléments plus larges de l'École, parce que toute cette formation et ce changement de culture, c'est vraiment ce que l'École est.

Il y a aussi l'aspect technique, mais il y a vraiment la façon de changer les mentalités, qu'il s'agisse de la gestion de projet, du changement ou de la gestion du changement dans le monde numérique. Ce fut un réel plaisir de vous écouter.

Taki Sarantakis : Merci Pablo. C'était un grand plaisir de ma part.

Pablo Sobrino : Pareillement. Merci.

Crédits

Tous les points de vue ou opinions présentés dans ce balado sont uniquement ceux des individus eux-mêmes et ne représentent pas nécessairement ceux de l'École ou du gouvernement du Canada.

Conférencier  : Taki Sarantakis, président, École de la fonction publique du Canada

Animateur : Pablo Sobrino, Membre émérite, École de la fonction publique du Canada

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